• (Lien de mon autre fiction)

     

     

    Chapitre I

     

     La jeune femme en blanc était poursuivie depuis une dizaine de minutes dans la forêt d’Alehan. La vitesse de sa course effrénée n’avait pas dégagé la capuche blanche accrochée à sa robe de sa tête brune. Elle manqua de trébucher sur son jupon et regretta de ne pas avoir les bras libres pour porter son jupon noir. Ils étaient trop occupés à suivre le rythme fou de ses jambes. Pourquoi étaient-ce les femmes qui devaient porter les vêtements les plus encombrants ? Les hommes, eux, portaient généralement une tunique et un pantalon avec la possibilité de ne pas trébucher sur un jupon. Elena sourit à cette idée puis sauta par-dessus une racine qui sortait de la terre et manqua encore une fois de trébucher sur son jupon et regretta cette fois-ci qu’il ne soit pas ouvert à l’instar de la jupe de sa belle robe blanche qu’elle portait par-dessus.

     

    Chapitre Premier

     

    Elena n’avait pas voulu dégainer ses deux dagues d’argents cachées dans ses manches et par de longs voiles de soie cousus aux extrémités. A quoi cela lui aura-t-il servi ?  Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, la moitié de son visage dissimulé par ses longs cheveux bruns ondulés. Elle vit tout de même qu’on ne la suivait plus dans les bois d’Alehan. Où était-il passé ?

        Elena s’arrêta brusquement mais silencieusement, pas le moins du monde essoufflée, puis elle jura.

        Soudain, la jeune femme brune sentit un lourd poids s’abattre sur ses épaules et flancha sous le choc, posant les genoux à terre, sa capuche blanche se rabattant sur ses épaules. Avec toute la force dont elle put faire preuve, elle se balança sur la droite et se retrouva sur son agresseur aux cheveux noirs de jais et aux yeux d’un gris profond. Mais elle ne lui fit rien … Et lui non plus …

        L’homme qui était sous elle utilisa son pouvoir d’Espion et se téléporta derrière Elena. Elle tomba de quelques centimètres et se retourna, toujours par terre, pour le regarder. La jeune femme se releva en époussetant sa robe blanche maculée de terre et de poussière puis regarda Luke.

        Qui faisait la tête.  

    -         Tu sais bien que je n’aime pas quand tu fais ça ! protesta-t-il. J’aurais pu te faire mal ! Et j’ai vraiment cru qu’on m’attaquait !

    -         C’est pour ça que je continue à la faire et de toute façon, tu ne m’as même pas fait mal. Tu me pardonnes ? demanda-t-elle en lui adressant son plus beau sourire auquel l’Espion ne résistait jamais.

        Luke détourna la tête.

    -         D’accord, céda-t-il malgré lui.

        Qu’est-ce que cette fille le menait en bourrique !

        Luke et Elena se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Ils avaient le même âge – c’est-à-dire dix-neuf ans. Personne, dans le village d’Alehan, n’avait connu ni même vu les parents d’Elena. Un jour, la mère de Luke qui venait d’accoucher depuis une semaine avait recueilli un nouveau-né entouré de linges blancs immaculés qui était couché sur le seuil de son foyer. Un mot avait été glissé dans ses linges et Elena avait bien pris le soin de l’apprendre par cœur car la mère de Luke avait soigneusement caché la lettre dans leur maison :

     

        « Cet enfant s’appelle Elena. On espère que c’est chez vous, à Alehan, qu’elle trouvera une famille qui l’aimera comme son propre enfant. Sa mère et moi avons décidé que nous ne voulions pas l’impliquer dans cette histoire pour qu’elle puisse profiter d’une enfance innocente. J’espère que plus tard elle comprendra que nous avions voulu lui faire le plus merveilleux cadeau. Moi-même, j’ai été privé d’une enfance innocente, tout comme le veut notre sang. Ne vous posez pas de questions sur cette jeune fille car un jour, elles seront accompagnées de réponses, si vous savez faire preuve de patience. Un jour, ils la retrouveront et faîtes bien attention à ce qu’elle sache leur faire face lorsqu’ils seront à quelques centimètres d’elle. »

     

        Au début, leur avait raconté la mère de Luke, elle ne voulait pas l’adopter car la lettre prouvait bien que les ennuis arriveraient avec elle, mais quand elle avait vu Elena qui venait de se réveiller, elle ne put y résister, elle qui avait eu un enfant quelques semaines plus tôt.

        Elena considérait donc Luke comme son grand-frère et aimait parfois lui faire de gentilles crasses. Comme lui faire croire qu’il était attaqué et après être poursuivie par lui dans toute la forêt d’Alehan … Celle-ci était sa préférée, mais il y en avait bien d’autre.

        Alehan était un petit village où tout le monde se connaissait, au sud-est d’Otolla. Le village était entouré d’une forêt et était plutôt isolé puisque tout autour de la forêt se trouvait une chaîne de montagnes. Les Alehens vivaient donc de leurs propres récoltes et ne faisaient aucuns commerces avec des villages par-dessus les montagnes. La rivière Eliatra passait par le village, prenant sa source d’un lac entouré de montagnes à l’ouest et les alimentait en eau. Cependant, ils n’étaient pas totalement coupés du monde. Chaque semaine, des hérauts passaient au village et les informaient des dernières nouvelles.

        La veille, on leur avait appris que le maître d’Enlisia – un pays au nord d’Otolla – et le conquérant d’Olavan – un pays à l’ouest d’Enlisia – venait de conquérir Elensril – un pays à l’est d’Enlisia - et le Maître du Nord avait agrandi la Muraille de Pierre qui séparait les royaumes du Nord qui avaient été conquis et les royaumes du sud, toujours libres. Le héraut qui provenait de Kem, et plus précisément d’Yrm, leur avait aussi appris que le Maître du Nord prévoyait d’attaquer Olin – un royaume qui partageait la frontière nord d’Otolla avec sa frontière sud.

        Sur le chemin du retour, Elena parlait avec une grande joie de la fête du village qu’elle supervisait une nouvelle fois cette année. Luke, lui, hésitait à parler à Elena, ayant peur qu’elle le rabroue. Il se lança tout de même à l’eau.

    -         Elena … Euh … Avec Irdan, nous sommes allés demander aux gens du village pour la fête et ils ont tous accepté, sauf Ilyana qui devrait bientôt accoucher.

    -         Ah bon ? s’étonna-t-elle avec un grand sourire. Ça m’étonne beaucoup de vous.

        Luke et Irdan étaient meilleurs amis. Contrairement à Elena qui faisait tout ce qu’on lui demandait sans broncher, on devait se battre pour que Luke et Irdan n’en fassent pas qu’à leur tête.

    -         Mais on a oublié Bernadette et Aléana, lâcha Luke.

        Elena s’arrêta brusquement.  Luke manqua de la percuter et s’esquiva à temps.

    -         Je me disais bien que c’était trop beau pour être vrai, soupira-t-elle en secouant la tête.

    -          Bernadette est à moitié folle et il n’y a que toi qui as assez de courage pour l’approcher ! se justifia Luke.

    -          Et Aléana ? Irdan la trouve jolie. N’a-t-il pas eu le courage d’aller l’inviter ?

        Luke secoua négativement la tête.

    -          Elle ne vit que pour soigner et ne parle qu’à ses patients. Irdan en est presque effrayé !

    -          J’irai chez Bernadette et chez Aléana.

        Luke la remercia du fond du cœur et entoura les épaules de sa « p’tite sœur » avec son bras droit.

        Elena ne le repoussa pas mais était toujours en colère contre lui.

    -          Je ne le fais pas pour vous, répliqua-t-elle sèchement, toujours furieuse contre les deux meilleurs amis.

    -          Et tes pouvoirs alors ? interrogea Luke, impatient de changer de sujet.

        La jeune femme haussa les épaules.

        Elle avait parlé de ses pouvoirs de Calqueuse qu’à Luke, son « grand-frère » et à Bernadette, la doyenne du village, qui lui avait tout appris sur la culture et l’histoire de tous les royaumes de l’Ailaisia tandis qu’Ermelynn, la mère de Luke et Espionne tout comme son fils, avait appris à Elena l’art du combat – l’escrime, le bâton, la lutte, le combat et le lancer de couteaux et le tir à l’arc – et l’art de la dissimulation.

    -          Je ne suis pas avancée. Je n’ose pas demander au maire si d’autres Calqueurs existent, les Smith à part. C’est un spécialiste à propos de cela mais il se met à stresser quand on évoque ce sujet.

        Les Smith formaient la famille la plus puissante de l’Ailaisia. Ils dirigeaient le Conseil qui, lui, dirigeait les royaumes de tout l’Ailaisia. Cette famille était la seule à avoir des pouvoirs surprenants qui permettaient de calquer les pouvoirs de celui qui les touchait ou qu’ils touchaient. Elena avait les mêmes pouvoirs et le mystère de ses origines s’épaississait de plus en plus.

        La dernière génération des Smith avait subitement disparu et le Maître du Nord en avait profité pour conquérir Enlisia. Le Conseil ne dirigeait plus rien sans l’aide des Smith.

    -          Je comprends, dit Luke. Parler des Disparus le met dans une colère noire.

    -          Exactement. Tu te rappelles de l’histoire que ta mère nous avait racontée ? Le jour où elle m’avait trouvée sur le seuil de la maison et m’avait présentée au maire, il avait failli avoir une attaque parce que j’étais enveloppée de linge blanc immaculé.

        Le blanc était la couleur réservée aux Smith. Bien sûr, il n’avait jamais été dit que c’était interdit pour les autres d’en porter, mais par respect et par crainte pour la famille la plus puissante de l’Ailaisia, les gens portaient d’autres couleurs. Elena était la seule dans le village d’Alehan à porter du blanc, en souvenir du jour où Ermelynn l’avait recueillie.

    -          Ils croyaient tous avoir un espoir jusqu’à ce que je leur dise que je n’étais qu’une Espionne.

        Luke la serra dans ses bras. Il savait à quel point il était douloureux à Elena de parler de ses parents qui l’avaient abandonnée, que ce soit pour la protéger ou non.

    -          J’ai déjà invité Bernadette, avoua-t-elle.

        Luke se dégagea de son étreinte et la regarda, visiblement étonné.

    -          Tu savais que nous n’allions pas lui demander ?

        Elena hocha la tête, un petit sourire aux lèvres.

     

    Chapitre I

     

    -          Et Aléana ? continua l’Espion. L’année dernière tu supervisais aussi la fête du village mais tu n’avais même pas pris la peine de l’inviter, sachant qu’elle n’écoutait que les autres Herboristes et qu’il n’y en a qu’au-delà des montagnes.

    -          Je sais. Mais l’année dernière, je ne l’avais pas encore touchée, lui répondit Elena en se baissant lentement, sous le regard perplexe de l’Espion.

        Un halo vert entoura sa main posée sur le sol. Elena se leva et une pousse surgit du sol et grandit jusqu’à ce qu’elle devienne un chêne majestueux qui barrait le sentier.

    -          Tu l’as touchée quand ? demanda Luke, en contournant le grand chêne pour continuer son chemin.     

        Elena le suivit, le bout de ses doigts effleurant l’écorce de l’arbre.

    -          J’étais allez voir Ilyana pour s’enquérir de sa santé quand Aléana est venue lui donner des potions calmantes pour l’accouchement. J’en ai profité en pensant qu’une telle occasion ne se présentera pas une deuxième fois, vu qu’elle évite les gens comme la peste

    -          Tu es incorrigible, lui dit-il en passant son bras autour des épaules d’Elena.

     

     

        Elena inspira profondément, les yeux fermés et prit son courage à deux mains. Elle avança à pas lents mais déterminés vers la porte de la maison d’Aléana, décorée de fleurs colorées, principalement de roses blanches et roses et de violettes.

        La jeune brune frappa à la porte, le poing fermé, puis attendit patiemment qu’on lui ouvre.

        Une jeune femme aux longs cheveux blonds et aux grands yeux turquoise et à la silhouette fine et élancée surgit dans l’embrasure de la porte qui venait d’être ouverte. L’Herboriste regarda avec mépris Elena, ses longs et fins sourcils blonds légèrement froncés.

         Aléana était belle, mais elle ne s’en rendait certainement pas compte. Toutes les filles du village enviaient ses longs cils blonds qui lui faisaient des yeux de biches qui rendaient fous la moitié des garçons du village, son nez était droit parsemé de quelques taches de rousseur et elle avait des lèvres pleines et bien roses. Sa robe cyan, passée par-dessus une chemise blanche aux manches larges qui devenait presque marron au fil des années, ne la mettait pas en valeur mais laissait voir son cou gracieux de porcelaine.  Elle avait une poitrine menue mais les garçons étaient plus attirés par sa taille de guêpe qu’elle cachait volontairement avec des robes trop larges pour elle.

     

    Chapitre Premier

     

    -          Tu n’es jamais malade toi, lui dit-elle avec agressivité qui contrastait avec son visage qui avait l’air si doux. (Aléana avait tort mais c’était compréhensible. Elena avait déjà été malade, mais se soignait toute seule, grâce à l’enseignement de Bernadette.) Donc que fais-tu là ?

    -          Je venais te demander si tu venais à la fête du village ce so…

    -          Désolée, la coupa Aléana en refermant brusquement la porte.

        De justesse, Elena réussit à bloquer la porte avec son pied puis la rouvrit. Aléana parut agacée.

    -          Laisse-moi une minute pour te convaincre. Tu n’as rien à perdre.

        La jeune blonde haussa les épaules et la laissa rentrer. La maison – ou du moins, la première pièce de la maison – était remplie de plantes de toutes sortes.

        Aléana s’assit par terre près de plans de belladone et de millepertuis morts et montra une chaise à Elena qui préféra rester debout.

    -         Je sais que tu n’écoutes que les autres Herboriste... commença-t-elle

    -         Et tu es une Espionne, à ce que m’ont dit mes patients.

        Ça s’annonçait plus difficile que prévu. Elena s’approcha des plans de belladones et millepertuis morts et passa sa main, paume ouverte, au-dessus des plantes. Toutes ces dernières se redressèrent et retrouva leurs couleurs, comme si elles revivaient.

        Et oui ! Les Herboristes étaient capables de faire ça !

        Aléana parut impressionnée mais resta méfiante.

    -         Depuis quand écoutes-tu le qu’en-dira-t-on ? Tu vois bien que je suis une Herboriste, lui dit Elena.

    -         Peut-être, mais tous mes patients me parlent de toi, la gentille Elena, et me disent que tu es une Espionne, dit Aléana en prenant appui sur sa main posée sur le sol.

        Soudain, le temps ralentit pour Elena. C’était le pouvoir du Chevalier qui s’activait. Cela se produisait quand le Chevalier était désarmé et qu’il était en danger.

        Elena vit des ronces surgirent rapidement du sol malgré ses pouvoirs calqués sur Irdan, le meilleur ami de Luke. Ses mouvements n’étaient pas ralentis mais les ronces l’encerclaient et elle ne pouvait pas toutes les éviter d’un seul coup. Elle se résout donc à utiliser son pouvoir d’Espionne et se téléporta derrière l’Herboriste. Elle dégaina une de ses deux dagues et menaça la gorge d’Aléana. Malgré le fait qu’Elena bougeait normalement depuis qu’elle s’était armée de sa dague cachée dans sa manche gauche, l’Herboriste ne put se défendre, ses mains, d’où provenaient ses pouvoirs sur les plantes, étaient coincées par la jambe d’Elena.

    -         Le pourvoir d’un Espion conjugué à celui du Chevalier, c’était époustouflant ! Tu es donc une Calqueuse, une Smith, triompha l’Herboriste.

        Elena la lâcha subitement et recula en secouant la tête jusqu’à ce que son dos rencontre le mur du fond fleuri.

        L’Herboriste se retourna vers elle, tout triomphe disparaissant de son visage et posa son genou droit à terre, tête baissée.

    -         Désolée de vous avoir traitée ainsi, Dame Elena, mais je devais en être sûre, fit-elle, son comportement ayant visiblement changé.

        La jeune femme en blanc, les sourcils froncés, s’avança lentement puis s’agenouilla près d’Aléana. Celle-ci devait au moins avoir deux ans de plus qu’elle et Elena trouvait ça dérangeant qu’Aléana s’agenouille devant elle. La jeune brune n’avait jamais été habituée à un comportement aussi respectueux envers elle. Elle était simplement une fille abandonnée de ses parents dans un village perdu au milieu des montagnes. Elle n’avait rien de spécial, simplement plus de pouvoir que la normale dont elle se servait pour faire des farces aux gens. Elle n’avait, par exemple, jamais avoué avoir brûlé les cheveux de la mère d’Ilyana après qu’elle avait poussé Luke dans la rue. Le garçon avait pris le blâme à sa place et elle n’avait jamais osé dire la vérité, trop gênée pour cela. Elena n’avait rien de spécial et pourtant, Aléana s’agenouillait sans hésitation devant elle. Elle lui prit le menton entre le pouce et l’index et plongea ses yeux émeraude dans un océan de bleu turquoise.

    -         Que puis-je faire pour être pardonnée ? demanda Aléana.

    -         J’ai tout une liste de choses à te faire faire.

        Aléana écarquilla les yeux mais ne broncha pas.

    -         Je commence. Tu dois me tutoyer, me considérer comme une amie et pas comme une grande dame, être plus aimable avec les autres et sortir, même quand il n’y a pas de malade.

        L’Herboriste fronça les sourcils.

    -         C’est tout ? osa-t-elle, apeurée mais tout de même surprise par les requêtes d’Elena. Elle s’attendait à autre chose.

    -         Oui, lui répondit Elena.

    -         Je vais essayer, lui dit Aléana en se relevant, suivie d’Elena. Mais je ne vous garantis rien.

    -         Je ne te garantis rien, la corrigea Elena en se dirigeant vers la sortie. Ah oui ! J’avais oublié ! s’exclama-t-elle en se retournant vers Aléana. Tu iras ce soir à la fête du village, avec moi.

        La jeune brune n’attendit pas la réponse d’Aléana qui était toujours étonnée par les requêtes peu communes de celle-ci et elle sortit de la maison fleurie.

     

     

    -         Elena, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

        Elena se retourna Aléana, la tête légèrement penchée, découvrant sa longue chevelure brune parsemée de fleurs de vanilles assorties à sa robe blanche – les préférées de la jeune femme brune qu’elle avait fait pousser avec son pouvoir d’Herboriste.

    -         Pourquoi ? s’étonna-t-elle.

    -         Parce que ça fait quinze ans que je ne suis pas allée à la fête du village et que je ne connais pas vraiment les gens du village. Je n’écoute que rarement mes patients.

    -         Raison de plus pour y aller ! lui lança Elena, souriante, en tirant sa nouvelle amie par le bras. Et pourquoi t’être faite belle si tu ne voulais pas y aller ? 

        Aléana faillit trébucher. Elle se reprit à la dernière seconde, se tenant au bras d’Elena. Elle donna un coup de pied rageur dans le pan de sa robe violette, la seconde d’Aléana qui ne révélaient rien de ses formes.

    -         Parce que tu m’y as obligée ! lui répliqua Aléana, exaspérée par l’attitude désinvolte d’Elena. J’ai dû changer de robe alors que toi tu gardes la même, j’ai dû me natter les cheveux alors que toi, tu les laisses lâchés et y parsemer des violettes.

    -         Je trouve qu’elles vont bien avec ton teint, se justifia Elena en tortillant une fleur de vanille accrochée à une mèche derrière son oreille droite. Regarde, moi aussi j’ai des fleurs. Et de toute façon, nous sommes déjà arrivées.

        La fête du village d’Alehan consistait à festoyer autour d’une grande table qui pouvait accueillir tous les villageois. Le dîner était servi par des serviteurs ayant déjà pris leurs repas avant la fête et durait généralement une heure. Après le dîner, ils s’amusaient souvent jusqu’à l’aube. Ils dansaient, parlaient, riaient … Et Elena comptait s’assurer qu’Aléana passe par tout ça.

        Ça semblait facile pour la grande brune. Pendant ces quinze dernières années, Aléana avait forgé autour de son esprit une armure, elle avait eu le temps de la renforcer. La fête du village était une catapulte qui allait la submerger de toutes ses émotions, ses couleurs, ses personnalités et qui allait détruire cette armure qui pesait bien trop lourd sur les frêles épaules d’Aléana. Puis, Elena avait une arme secrète qui résisterait à la chute due à la catapulte : Irdan.

        Elena et Aléana s’assirent côte à côte et furent rapidement rejointes par Irdan et Luke, tous les deux impressionnés par le fait qu’Aléana accompagnait la jeune femme brune. Irdan fut enchanté de pouvoir s’asseoir près de l’Herboriste mais personne ne se demanda pourquoi. Tout le monde au village savait – sauf peut-être la concernée – qu’Irdan était amoureux pour Aléana.

        Irdan était un garçon à la carrure impressionnante, une caractéristique commune chez les Chevaliers. Il était brun et ses petits yeux marron semblaient toujours vous considérer pour voir si vous étiez capable de le battre en combat singulier. Il avait vingt ans mais aussi loin que ses souvenirs puissent remonter, Elena l'avait toujours connu. Luke et lui formaient le duo le plus insolite qu'Alehan n'eut jamais vu. Alors qu'Irdan attirait beaucoup l'attention, Luke, lui, savait se faire discret. L'Espion était plutôt petit et avait d'étroites épaules alors que le Chevalier dépassait les un mètre quatre-vingts et possédait les plus larges épaules qu'Elena n'avait jamais vues. Irdan était quelqu'un de simple et d'irréfléchi, Luke réfléchissait en permanence. Ils se complétaient.

        Luke avait une épaisse chevelure noir de jais dont quelques mèches tombaient sur ses yeux gris orageux. Il était de nature joyeuse, avait toujours le mot pour rire mais Elena savait quand il était troublé par le temps que ses yeux affichaient. Luke était comme ça, il pouvait d’un coup, changer d’humeur, se renfermer et sombrer dans ses pensées les plus profondes. Mais vite, il retrouvait son sourire et le voile d’obscurité sur son visage était instantanément oublié de tous.

        Au début du repas, Elena sentit qu’Aléana était très mal à l’aise avec les autres mais plus les minutes défilaient, plus elle prenait part dans les conversations et riait avec les autres villageois.

        Après le dîner, les musiciens se joignirent à la fête et les serviteurs purent se reposer après avoir débarrassé la grande table qui accueillait plus d’une centaine de personnes.

        Deux musiciens montèrent sur l’estrade qui avait été placée précipitamment près de la table. Un avait empoigné son luth, l’autre tenait fermement sa flûte dans sa main gauche.

        D’un signe du maire d’Alehan, assis en bout de table, signe de supériorité, les musiciens commencèrent à jouer une musique vive et tournoyante qui se dansait en couple.

        Très vite, les couples se formèrent pour danser et Irdan se tourna vers Aléana qui parlait de plantes avec Bernadette.

    -         Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda Aléana tout en lui souriant et en se retournant vers lui.

    -         Est-ce que tu voudrais bien danser avec moi ? lui demanda le Chevalier avec timidité.

    Chapitre I

     

     

        Voyant Aléana hésiter, Elena se fit un plaisir d’intervenir, laissant un moment Luke sans personne avec qui discuter.

    -         Bien sûr, elle se fera un plaisir de danser avec toi ! l’informa Elena en poussant l’Herboriste dans les bras musclés du Chevalier.

    -         Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, répondit celle-ci en s’adressant à Elena, le regard plein de détresse.

        Elena perdit rapidement son sourire et lui lança un regard qui disait clairement : « C’est un ordre » et Aléana n’eut pas le courage de protester.

    -         Vos désirs sont des ordres, Dame Elena, lui dit-elle sans qu’Irdan ne l’entende.

        Une lueur amusée apparut dans les yeux de la Calqueuse et un grand sourire fendit son visage.

    -         Dame Elena, hein ? Tu vises plus haut ?

        Luke se retrouva devant Elena et celle-ci lui sourit.

        Cette fois-ci, il réussit à se ressaisir et l’examina avec intention comme si c’était la première fois qu’il la regardait.

        Elena se leva et regarda la jeune Herboriste qui, finalement, s’amusait avec le Chevalier. Irdan menait la danse puisqu’Aléana n’avait pas pris le temps de s’amuser depuis quinze ans, depuis la mort de ses parents, à ses six ans.

        La musique avait changé. Le rythme était maintenant lent et les pas plus compliqués qu’avant. Aléana souriait tandis qu’Irdan la guidait.

    -         Elle a découvert mes pouvoirs et me prend pour une Smith.

        Luke lui prit la main brusquement et l’entraîna sur la piste de danse.

    -         Tu es très convaincante, lui dit-il en regardant la robe blanche d’Elena.

        Celle-ci lui sourit, fidèles à ses habitudes mais haussa les épaules. Elle recula d'un pas puis plaça ses bras croisés devant elle, les paumes ouvertes en direction de Luke. Il l’imita.

    -         Et toi tu aurais pu au moins avoir la bonne manière de me le demander avant de danser avec moi, le rabroua Elena alors qu’ils commençaient à se tourner autour.

        Elle n’était pas vraiment en colère et jouait la comédie puisqu’elle adorait taquiner Luke.

    -         Je voulais être sûr de pouvoir danser avec ma « p’tite sœur ».

        Elena fronça les sourcils mais son sourire ne s’était toujours pas évaporé de son joli visage.

    -         Pourquoi n’aurais-je pas accepter ? s’étonna-t-elle.

        Luke montra discrètement un groupe de jeunes hommes assis sur la table, occupés à se saouler. Elena prit bien soin de cacher son regard émeraude par une mèche brune accompagnée d’une orchidée blanche.

        Le groupe les observait bien, elle surtout. Elena ne les avait jamais vraiment trop fréquentés car elle savait qu’ils avaient un penchant pour l’alcool et le sexe et la plupart des filles, qui avaient eu de l’intérêt pour ces hommes qui étaient plutôt séduisants lorsqu’ils n’étaient pas bourrés, s’étaient retrouvées enceintes deux semaines plus tard. Bien sûr, ses hommes devaient les épouser juste après, ce qui ne les empêchaient pas de faire des galipettes en cachettes et, ne voulant pas d’autres épouses, dans l’anonymat.

    -         Tu crois vraiment que j’aurais accepté de danser avec ses ivrognes ? lui demanda-t-elle, légèrement offusquée.

        Luke détourna son regard, un sourire aux lèvres.  Ils s'arrêtèrent de tourner et décroisèrent leurs bras. Ils se prirent les mains et firent chacun un pas vers l'autre, chacun ayant un bras tendu vers la droite, le bras gauche plié. Ils reculèrent d’un pas, détendant leurs bras.

        Soudain, pour Elena, le temps ralentit peu à peu. Elle regarda tout autour d’elle pour voir qu’est-ce qui serait susceptible de la blesser. Rien. Un sifflement retentit à sa droite et attira son attention. Un carreau d’arbalète se dirigeait vers elle et n’était qu’à une dizaine de centimètres de son visage. Elena se pencha agilement en arrière pour l’éviter. Après que le carreau l’ait dépassée, le temps retrouva son cours normal et Elena vit le projectile accélérer pour se ficher dans le tronc de l’arbre qui était à la gauche d’Elena.

        Luke la regarda. Il avait remarqué qu’elle avait utilisé son pouvoir de Chevalier. Elena répondit à sa question muette en désignant l’arbre où était fiché le carreau d’arbalète. Elle entoura prestement le cou de Luke avec ses bras et lui chuchota dans l’oreille :

    -         Arbalétrier niché dans le grand chêne à ta gauche. Occupe-toi de lui, tu as déjà grimpé ce chêne.

        Le pouvoir de l’Espion – celui de la téléportation – ne marchait que dans les endroits où l’on était déjà allé.

        A leurs neuf ans, Luke et Elena avaient fait le pari de grimper dans l’arbre centenaire. Elena était passée la première mais n’avait grimpé que quelques branches et était redescendue tout de suite. Elle avait été prise d’un soudain vertige alors que Luke monta discrètement et agilement une à une, les grosses branches du chêne et avait gagné le pari. Elena avait dû faire toutes les tâches ménagères de Luke à sa place pendant une semaine. Mais peu importait les tâches ménagères maintenant qu’Elena était en danger de mort – car c’était bien elle qu’on visait. Cette dernière courut vers la table où festoyaient les Alehens et sauta dessus, renversant les coupes remplis d’alcool, seuls vaisselles qui restaient sur la table. Des cris surpris et outragés parvinrent à l’oreille de la jeune brune tandis qu’elle portait ses mains en porte-voix pour crier :

    -         Alerte rouge ! Un arbalétrier attaque le village d’Alehan ! informa-t-elle en montrant du bras gauche le carreau planté dans l’arbre. Aléana, Irdan, Luke et moi nous occupons de ça ! Rentrez chez vous et protégez votre famille !

         Rapidement, les villageois se levèrent et se dirigèrent vers leurs foyers, les mères portant leurs enfants et les pères aidant les plus âgés, les gardes et les servants escortant le maire, tous ayant une foi inébranlable pour deux Espions, un Chevalier et une Herboriste.

        Ayant entendus leurs noms, Aléana et Irdan avaient rejoint Elena qui se dirigeait déjà vers le chêne. Soudain quelqu'un tenant une arbalète tomba face contre terre. Luke le rejoignit en sautant et en se réceptionnant en galipette. Il leur sourit et poussa l’arbalétrier contre le tronc d’un coup de pied. N’ayant rien pour l’attacher, il prit l’arbalète et en arracha soigneusement les cordes puis s’en servit pour lui lier les poignets et les chevilles. L’arbalétrier ne se débattit pas, assommé par sa chute. Luke se rapprocha d’Elena et lui demanda, les sourcils froncés :

    -         Tu sais ce qu’il te voulait ?

        Elena fronça les sourcils, preuve qu’elle réfléchissait.

    -         Je ne suis pas sûre qu’il veuille me tuer. Je crois plutôt qu’il voulait me tester.

    -         Pourquoi tu penses ça ?

    -         Parce qu’alors que tu le cherchais dans le chêne il aurait pu m’envoyer d’autres carreaux ou même descendre du chêne et m’affronter au corps à corps pour m’obliger à dégainer mes dagues pour que le pouvoir du Chevalier ne marche pas.

        Luke réfléchissait à ce que lui avait dit Elena quand l’arbalétrier se réveilla. Irdan se rapprocha de lui pour le surveiller, faisant jouer ses muscles, tandis qu’Elena s’approcha de son agresseur pour l’interroger.

        Ce dernier sourit à l’évidente question que la femme en blanc allait lui poser.

    -         Pourquoi m’avez-vous attaquée ? lui demanda-t-elle tandis que le sourire de l’arbalétrier s’élargissait.

    -         Je savais que vous aviez touché un Chevalier. Je suis Clairvoyant et j’ai bien vu que votre copain était un Chevalier, lui répondit-il en désignant Irdan qui renforça l’emprise sur son épée.

        Les Clairvoyants avaient des pouvoirs qui leur permettaient de voir l’aura de chaque personne. Chaque classe – Espion, Chevalier, Herboriste…- avait une couleur d’aura particulière ce qui les distinguait aux yeux des Clairvoyants.

    -         Bon, continua-t-il, ma mission n’était pas de discuter avec vous donc s’il vous plaît, vous pouvez me relâchez ? 

        Elena parut étonnée que l’arbalétrier prenne la situation aussi bien que ça et lui assena un coup violent du pied dans ses côtes.

    -         De quelle mission vous parlez ? Et arrêtez de faire l’imbécile !

    -         Bon, je crois que je pourrais vous la révélez. « Repérer la Smith et envoyer un message dès que c’est fait. Bien sûr, la ramener en Enlisia après l’avoir capturée. Si ce n’est pas fait, je m’occuperai pour que votre mort ne se déroule sans aucune clémence. »

        Irdan – même s’il avait le cerveau lent – comprit que la Smith en question était Elena, la jeune fille qu’il avait côtoyée pendant dix-neuf ans, à qui il a jeté de la boue quand elle l’avait cherché. Il la regarda avec de gros yeux mais ne dit rien, décidé à en parler à Elena plus tard.

    -         Vous êtes un imbécile ou vous le faites exprès ? s’exclama Luke. Une mission ne se révèle jamais, que ce soit par lâcheté ou par arrogance que vous le faites !

        En tant qu’Espion, il était dérouté par la conduite de l’arbalétrier et Elena le comprenait bien. Pour Luke, ses devoirs d’espions représentaient tout pour lui et elle soupçonnait qu’il voulait rendre son père fier de lui.

        L’arbalétrier se contenta d’hausser les épaules.

    -         De toute façon, je suis un mort en sursis. Si vous n’allez pas me tuer, j’aurais le droit à la pendaison par votre maire. Et ce n’est pas parce que je n’ai pas réussi à vous avoir qu’il ne vous enverra pas d’autres émissaires.

        Luke voulut demander qui l’avait envoyé mais Elena l’en empêcha en posant une tout autre question.

    -         Comment pouvez-vous être sûr que je sois une Smith ? Le fait d’être une Calqueuse ne veut pas dire forcément que je suis une Smith.

    -         Détrompez-vous. Vous saviez que l’aura des Smith compliquait la vie aux Clairvoyants ? L’aura des Smith à une couche protectrice qui prend la couleur de l’aura des derniers pouvoirs qu’il avait utilisé et seuls les plus puissants Clairvoyants peuvent voir par-dessus. Votre aura avait la couleur de celle d’un Herboriste mais on m’avait dit au village que vous étiez une Espionne et j’ai voulu vérifié. Dès que j’ai lancé ce carreau, votre aura a changé de couleur et j’ai envoyé un message à mon patron. Seuls les Smith ont le pouvoir de Calqueur.

        Cette nouvelle devait-elle réjouir Elena ? Savoir qui était ses parents était son plus grand rêve mais elle ne se doutait pas de ce qu’elle découvrirait derrière. Elle allait continuer son interrogatoire mais elle entendit des pas se rapprocher à sa gauche. Elle regarda dans cette direction et vit le maire, d’une démarche altière et suivi de quelques gardes, se diriger vers eux. Il jaugea l’arbalétrier et demanda aux quatre jeunes adultes de rentrer chez eux. Ceux-ci partirent en silence, sans chercher à le contredire, tandis que le maire s’approchait du prisonnier.

    -         Qu’est-ce que tu sais sur cette fille ? Et qui est celui qui t’as envoyé ? lui demanda-t-il dans un souffle.

         L’arbalétrier esquissa un grand sourire. Il n’avait pas l’air d’être inquiet du sort que le maire lui réservait s’il ne parlait pas.

    -         Je sais beaucoup de choses, mais je ne compte pas vous les dire. Et je préfère être mort par vos mains que par celles de mon patron.

        Le maire se leva, ayant déjà cerné le personnage qui se tenait devant lui. Il se tourna vers les gardes.

    -         Il ne parlera pas. Mettez-le en prison, il sera pendu à l’aube. Sauf s’il se décide à délier sa langue.

     

     

     

       

     

    Chapitre I

     

     

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